Au Sénégal, le Ndaa est un objet domestique d’antan, figure totémique des concessions familiales. C’est un pot ou une jarre en terre cuite qui a pratiquement disparu de notre vie en laissant place au frigidaire, nom d’une marque fondée à Fort Wayne, dans l’Indiana en 1918. La marque Frigidaire a développé le premier réfrigérateur inventé par Wales et Mellowes en plein essor du contexte de la révolution industrielle aux Etats-Unis. Cette appellation est passée dans notre jargon ainsi des générations ont adopté le vocable frigidaire ou frigo pour se référer au réfrigérateur, un engin à fabriquer du froid pour conserver nos aliments et prolonger leur durée de vie.
Le Ndaa est un pot en argile dont la taille varie considérablement, également connu sous le nom de Dakha en langue bambara ou canari en langue française, il est probablement l’un des plus anciens pots de l’histoire de l’humanité mais aussi l’un des objets les plus fascinants dans la diversité de son usage. Des éclats de poterie ont été retrouvés par des archéologues sur des sites du continent africain dès 12000 av JC. Ce premier récipient a servi sur le continent à garder des bijoux, stocker de l’eau mais aussi à fermenter certains aliments comme l’alcool de mil, le nététou connu sous le nom de néré en bambara (nom scientifique Parkia biglobosa).
Ma rencontre avec le Ndaa s’est fait dès mon jeune âge dans le Saloum, une des plus belles régions du Sénégal où le Ndaa était quotidiennement rempli d’eau de puits pour alimenter les maisons en eau. Plusieurs Ndaas rivalisaient dans les concessions familiales, la jarre à eau trônait à l’entrée ou dans un coin de la cour alors que le petits canari à eau pouvait garder sagement l’entrée de chaque pièce telle une sentinelle. Ma fascination pour cet objet était inhérente à l’eau fraîche contenue de cet objet domestique même en période de chaleur accablante. L’eau du Ndaa était différente et évoquait une minéralité liée au terroir. Souvent parfumée grâce aux racines de Vétiver, l’eau était aromatisée et son goût donnait l’impression de boire une infusion à la fois fraîche, terreuse et douce au palais laissant une note finale légèrement sucrée et boisée. Comme beaucoup d’entre nous, j’ai pendant longtemps pensé que les racines de Vétiver servaient uniquement à parfumer l’eau du Ndaa. Au-delà de ses notes boisées, le Vétiver encore appelé Sép en wolof ou encore Gongo lili en bambara (nom scientifique Chrysopogon zizanioides), est une plante herbacée robuste dont les propriétés antiseptiques étaient déjà connues de nos ancêtres d’où son utilisation dans la bonne conservation de l’eau en terre cuite.
Ma relation avec le Ndaa a évolué sous d’autres cieux au Burkina Faso, en allant à la découverte de l’artisanat et du savoir-faire des potières, plus précisément à Bobo-Dioulasso dans le quartier des potières de Dioulassoba. A Dioulassoba, je suis allée aux sources du Ndaa, du Dakha local pour découvrir non seulement son secret de fabrication mais aussi son usage et son utilité. Dans cette partie du continent, les canaris sont des objets domestiques servant à conserver l’eau ou à préparer le traditionnel dolo, l’alcool de mil. Ils sont en général plus larges et plus ronds avec un col plus petit et une petite lèvre pour en faciliter l’accès alors que les canaris couscoussiers ou les canaris de la pharmacopée traditionnelle sont plus petits avec un col souvent plus haut, une lèvre déversée et une esthétique recherchée de l’objet. J’y ai également découvert des techniques simples que les artisanes utilisent dans la fabrication à savoir l’estampage de la forme convexe où la potière prépare une motte d’argile souvent chamottée qu’elle abaisse à la main au-dessus d’un pot retourné ou encore l’estampage de la forme concave où l’ébauche du pot est faite grâce à une motte de terre creusée au fond d’un ancien pot qui sert de gabarit à la partie inférieure du canari. Les potières terminent la confection avec la technique du colombin. Elles frottent délicatement en l’air les paumes de leurs mains autour d’une motte d’agile laissant apparaître peu à peu, à la verticale, des boudins d’argile ou colombins qu’elles superposent régulièrement avant des les écraser les uns sur les autres pour ensuite les étirer et façonner l’objet. Ces dames mettent l’accent sur la forme et le matériau grâce à un outillage simple tels que des bouts de calebasse, galets, chiffons, morceaux de cuir ou encore des colliers de graines de Baobab. Elles optimisent ainsi la fonction et l’apparence des canaris et améliorent également la convivialité de l’objet domestique à travers des bas-reliefs, des scarifications ou des poignées pour faciliter la préhension de l’objet et donc son usage. Les canaris sont polis et décorés avec des enduits rougeâtres ou noirâtres puis cuits en meule, sur feu un souvent ouvert. Il arrive aussi que les potières déposent des tôles en zinc pour augmenter la température et prolonger le temps de cuisson; avec des températures de cuisson avoisinant 900C-1000C. A la fin de la cuisson, la potière trempe les canaris encore chauds dans une décoction de feuilles de néré pour leur donner une couleur mais surtout une brillance; cachet unique des poteries d’Afrique de l’Ouest.
Grâce à la riche teneur en oxyde de fer des argiles du continent, les canaris restent poreux après leur cuisson ce qui favorise le flux de températures avec l’air ambiant et donc un rafraîchissement naturel de l’eau stockée. Du sable humidifié est souvent placé sous le canari à eau pour encourager ces flux de températures lors de l’évaporation de l’eau contenue dans le sable; la température interne du canari se trouve ainsi abaissée et l’eau rafraîchie.
Le canari est resté dans cette région de l’Afrique un objet domestique dont les pratiques locales perpétuent les savoir-faire. Les potières de Dioulassoba participent activement à la préservation des techniques de fabrication et contribuent à la continuation des pratiques culturelles. Une partie du pouvoir du design simple de cet objet réside dans sa capacité à offrir un usage domestique permettant de rafraîchir l’eau, de préparer la pharmacopée traditionnelle et des aliments comme les graines de néré dont la teneur élevée en protéines permet de nourrir plus de 20 millions de personnes sur le continent selon le Traditional African Foods Project (AFTER).
La préservation des techniques de fabrication du canari au Burkina Faso est aujourd’hui source d’innovation frugale. A Ouahigouya, une ONG allemande Movement e.V. s’active dans la fabrication du canari-frigo avec une technique qui consiste à intercaler une couche de sable humidifié entre deux canaris. Cette innovation permet de conserver des produits frais notamment les fruits et légumes et de répondre aux besoins des femmes. Au Sénégal, bien que le Ndaa ait pratiquement disparu, il continue d’exister dans notre mémoire collective à travers son incontournable Pottu Ndaa (pot du canari). Ce vestige du passé devenu haut en couleurs, est encore très présent dans notre vie grâce à l’industrialisation du plastique. Bien que sa fonction soit détournée pour l’adapter à d’autres besoins, le Pottu Ndaa est aujourd’hui fabriqué en grandes séries pour répondre aux besoins du consommateur en milieu urbain et rural. L’industrialisation balbutiante et l’innovation frugale se côtoient sur le continent pour capturer les réalités économiques, physiques et expérientielles en créant des innovations de base abordables qui au fond, apportent des solutions aux populations locales.
Crédit photo Yannick Folly, Porto Novo
Hi Faty
Beautifully described you created such an evocative context I felt I knew this object! Are there any of these in Museums in the UK I am struggling to recall one but I must have?
Very best wishes Kx
Hello Kathryn,
So nice to read you!
It is a real pleasure to know stories like this one evoke some sort of memory or some kind of relationship. You might want to try the Sainsbury gallery in the Birtish Museum. I know that they had few domestic objects. Wishing you well and hope to see you someday in London!